Analyse du contexte paysager du
Moulin des Tricoteries




Le Favril est un petit village appartenant à la Communauté de Communes du Pays de Mormal comptant environ 500 habitants pour une superficie de 11,49 km². Il comprend une église, un calvaire, plusieurs chapelles et oratoires ; autant de témoins de l'importance que revêtaient les pratiques religieuses par le passé. La mairie, le kiosque, le monument aux morts de la salle des fêtes sont des éléments architecturaux qui établissent la preuve d'une vie communautaire et de mœurs partagées au sein du village. La participation de la commune au concours des « Villages fleuris » prouve le dévouement des habitants envers l'entretien et l'image de leur lieu de vie ainsi que leur intérêt pour sa faune et sa flore. Le village se situe sur une zone nervurée de voies hydrauliques. Il s'inscrit dans un paysage résolument rural à l'écart des grands axes routiers et des lieux de transit fort. La carte d'État-major indique que Le Favril a suivi un développement linéaire permettant de le qualifier de « village rue ». La structure a évolué en suivant un axe routier qui suivait lui-même le cours de la voie d'eau principale : la Rivièrette. Le Moulin des Tricoteries apparaît lui aussi sur cette carte du XIXème siècle.


Le Moulin des Tricoteries est situé au Sud du Village, non loin de la départementale 964. De ce moulin dépend entièrement l'organisation du site ; il est d'ailleurs à l'origine du nom de la rue le desservant, la « rue du Moulin ». Ce moulin compte parmi les deux seuls survivants du XVIIIème siècle ; la commune comprenait alors trois moulins à eau et deux moulins à vent. Il s'agit du plus ancien puisqu'il date de 1755. Une pierre taillée rappelle sa date de création ainsi que le nom du premier propriétaire : J.P. Salengros. Pendant plus d'un siècle le moulin a servi à moudre du blé et était déjà connu comme le « Moulin des Tricoteries ». Plusieurs hypothèses pourraient expliquer l'origine de cette dénomination particulière ; un éventuel usage du bâtiment du moulin pour le filage et le tissage du lin que rien ne permet néanmoins de prouver ou encore la filiation avec un nom de propriétaire des parcelles avoisinantes. Le bâtiment a depuis lors subi quelques modifications comme la suppression de plusieurs ouvertures et d'une grange. La base architecturale du XVIIIème siècle a cependant été conservée : briques rouges à base d'argile cuite, dallages et arcades en pierre bleue, reflets de l'architecture flamande.


Dans les années 1970-80, le site fut l'objet  d'un projet de parc résidentiel de loisirs à gestion privée. Ce parc pouvait accueillir camping-cars, caravanes, et était doté d'un café-brasserie occupant le moulin. Les vestiges de cet emploi passé du site se révèlent sous la forme du bâtiment des anciens sanitaires servant aujourd'hui de cabane à outils et jouxtant les pâtures, la plantation de saules sur une parcelle dédiée aux pitchs de tentes qui créaient alors une zone ombragée tout en asséchant et maintenant les sols, ou encore par l'étang artificiel situé à l'entrée du site destiné alors à être un étang de pêche à la truite. Plus surprenante, une autre survivance apparaît lors des périodes de fortes chaleurs ; les chemins aménagés pour les besoins du camping, rendus invisibles par le retour de l'herbe, se dessinent à nouveau par l'effet du dessèchement local induit par les graviers toujours présents sous la verdure.




Le Favril appartient à l'entité paysagère de l'Avesnois qui se démarque très nettement des entités voisines de par sa structure bocagère radicale. Le bocage accompagna au XIXème siècle une intensification de la production laitière et de viande et a aujourd'hui bien souvent disparu comme en Flandres. Sa préservation confère son identité au Grand paysage avesnois qui s'affiche comme un espace clos, bordé de toutes parts par des éléments paysagers typés : haies taillées à échelle humaine, alignements d'arbres, grands massifs forestiers. L'horizon se dérobe au regard du promeneur derrière des frondaisons denses ou de simples lisières. Une entité que l'atlas des paysages qualifie de « labyrinthique » à cause de cette structure sérielle qui semble infiniment répétée. Cet espace clos où les éléments naturels sont partout soumis à la main de l'homme apparaît comme un immense jardin.

Le site du Moulin des Tricoteries est en accord avec son identité paysagère. La carte d'État-major présente déjà les nombreuses parcelles à vocation agricole qui entourent le moulin. Ces parcelles sont aujourd'hui encore des prairies ponctuées de boisements et délimitées par des haies bocagères composées d'aubépine (crataegus laevigata), d'alisier (sorbus aucuparia), de prunelier (prunus spinosa), de roncier (rubus fruticosus) ou encore de charme (carpinus betulus), de noisetier (corylus) et d'aulne (alnus). Ces haies sont des éléments paysagers rythmés, à l'aspect asymétrique dynamisant visuellement le site. Autant de trames vertes permettant le développement et la sauvegarde d'une grande diversité floristique et faunistique. Ces éléments paysagers ne nécessitent que peu d'entretien ; une taille latérale intervient en fin d'été ou à l'hiver. Un œil attentif, décélera dans certaines haies bocagères des vestiges d'un curieux agencement des branchages nommé « plessis ». Ce procédé datant du Moyen-Âge consiste à entrelacer des branches en les croisant au fur et à mesure de leur développement pour former un mur ou une séparation dense. Le plessage est une technique traditionnelle de taille des haies vives donnant lieu à des barrières infranchissables pour le bétail. Un îlot bocager est abandonné à un développement naturel sans taille depuis quelques années et constitue un abri privilégié pour faisans, lapins et lièvres. Typique de l'entité paysagère de l'avesnois, des arbres têtards, charmes ou saules, épars, sont visibles sur le site et alentours. Ces arbres doivent leur nom à un procédé de taille par étêtage successif qui leur confère une tête disproportionnée ; le récépage en hauteur, intervenant environ tous les cinq ans, provoque un renflement sommital du tronc. Le bois issu de ces tailles régulières sert selon l'essence comme bois de vannerie ou de chauffage et les reliquats d'écorce et de feuilles compostant au cœur de ces « menhirs de bois » creux deviennent un terreau appelé « sang de la trogne » qui était utilisé pour la levée des semis. Le paysage entourant le moulin est ainsi tissé d'une multitude de verts tendres et profonds qui sot complétés par les teintes rouges et bleues de l'architecture.


La situation du moulin est particulière puisqu'il ne se trouve pas directement implanté sur la Rivièrette mais dans une zone terrestre découpée par l'un de ses méandres. Ce cours d'eau a pour origine plusieurs étangs et mares près de Fontenelle et se jette dans le canal de la Sambre à l'Oise. À vol d'oiseau, il a une envergure de plus de 15 km, ce qui peut expliquer sa force et ses débordements. Ce risque de crue élevé explique l'implantation du moulin à bonne distance des berges. Le moulin était alors alimenté par un canal aménagé en partie souterrain, dont le fonctionnement était rendu possible par un bief installé en amont sur la Rivièrette, une retenue d'eau dont on distingue encore les vestiges aujourd'hui. Lorsque le meunier avait besoin d'eau, il ouvrait la retenue permettant ainsi à l'eau de s'engager dans le canal et de venir alimenter la roue à augets qui transformait la force hydraulique en force motrice pour animer les meules. L'eau quittait ensuite le moulin grâce à un aqueduc voûté d'environ 150 mètres, et regagnait la Rivièrette 500 mètres plus en aval. L'implantation du moulin au point bas assurait le bon fonctionnement de ce système. Le relief du site, directement lié à l'hydrologie et aux vents, s'est peu à peu façonné pour donner lieu à deux bassins versants au cœur desquels se situe le moulin – à plus d'une trentaine de mètres en dénivelé des points culminants environnants. La Rivièrette est née des écoulements des eaux de ces bassins versants. La structure en cuvette induit une terre lourde et riche bénéficiant des couches humifères ravinées par les eaux. Toutefois, cette forte humidité pose problème pour la grande culture ; ceci explique la prolifération des prairies vouées à l'élevage sur cette zone en point bas. Les horizons pédologiques révèlent un plateau de craie marneuse – roche sédimentaire calcaire saturée d'argile – datant du Cétacée et indiquant la présence à cette époque d'une mer chaude et peu profonde. La Rivièrette a quant à elle apporté une couche superficielle bien plus riche composée d'alluvions déposés lors des crues et décrues récurrentes.

L'eau a façonné en grande partie ce paysage, elle est l'un des éléments majeurs du site, véritable fil conducteur. Sa force entraîne les alluvions et autres résidus, enrichissant les berges tout en les érodant.



La Rivièrette est un atout écologique à ne pas négliger : elle a permis l'apparition d'une formation végétale le long de ses berges – écotone entre l'eau et la terre – appelée ripisylve, du latin ripa « rive » et sylva « forêt ». Ce peuplement végétal est particulier et dépend de la présence de l'eau. Les espèces observables sont le saule, l'aulne, le frêne – peuplant les bordures et ne craignant pas les crues -, les érables, les ormes et les chênes et charmes sur les hauteurs des berges. Cette structure végétale est à préserver puisqu'elle est garante de la morphologie du cours d'eau : les systèmes racinaires assurent la stabilité des berges permettant à la rivière de conserver sa sinuosité car un étalement des berges lui attribuerait un tracé linéaire. La ripisylve influence également les propriétés physico-chimiques de l'eau en la filtrant et régule sa température, garantissant ainsi un équilibre des populations de poissons et d'invertébrés. La trame bleue de la Rivièrette constitue donc un corridor biologique jouant un rôle majeur dans le maintien de la biodiversité. La proximité de l'eau attire toutefois des espèces indésirables qualifiées d'invasives comme la renouée du Japon ou la berce du Caucase. Cette dernière, heracleum mantegazzianum, est une herbacée non seulement envahissante mais toxique ; sa sève contient des toxines photosensibilisantes provoquant des phytophotodermatites amenant des lésions semblables à des brûlures. En plus de la Rivièrette et de l'étang de pêche, une zone humide se situe au-delà de la pâture du moulin occupée par les chevaux. Repérable grâce au vert cru et lumineux de la végétation concentrée à cet endroit qui attire le regard dès que l'on s'en approche, une source naturelle est ici timide mais bien présente. Une mare a été creusée non loin d'elle selon son écoulement pour servir de réservoir. Un entretien régulier est préconisé pour empêcher l'installation et la prolifération du ragondin. Ce mammifère aquatiqe (myocastor coypus) aux incisives rougeâtres a été importé d'Amérique du Sud dès le XIXème siècle pour sa fourrure et a depuis lors colonisé toute l'Europe et a été classé parmi les espèces dites nuisibles. Consommateur de végétaux aquatiques, il réduit l'étendue d'écosystème et entraîne la disparition des poissons, mollusques ou insectes qui y vivent. Il est également porteur de maladies transmissibles à l'homme comme la Leptospirose ou la Douve du foie. Le ragondin creusant des terriers avec une entrée sous l'eau, il est possible de freiner son installation en éloignant la base des digues de l'étang d'environ deux mètres de l'eau.

Le paysage habité par le Moulin des Tricoteries est une entité pleine de survivances issues du passé et constitue un terrain fertile pour un développement à venir. Sans rompre avec la tradition, il évolue, s'adapte et se réinvente. L'implantation d'une association de promotion de la création artistique à cet endroit apparaît comme tout à fait pertinente puisqu'elle implique, notamment par le biais des résidences d'artistes, que des regards nouveaux, autres et extérieurs, viennent se poser et embrasser la richesse de ce territoire afin de donner naissance à des propositions originales. La dénomination même de cette association est en accord avec son site puisque La chambre d'eau fait référence à la pièce en sous-sol du moulin qui abritait la roue. Le fonctionnement du lieu est en écho à son ancienne organisation ; le moulin est séparé en deux parties principales : l'une dédiée au travail, l'autre à l'habitation quotidienne – à l'époque, du meunier, aujourd'hui des artistes et membres de l'association. À l'heure actuelle, de nombreuses initiatives liées à l'insertion de la sphère artistique contemporaine en milieu rural sont en plein essor. La création contemporaine impacte alors ces localités en termes de développement économique et de dynamique sociale tandis que les artistes et autres acteurs du cercle artistique découvrent dans ces contextes autres de nombreuses sources d'inspiration tout à fait stimulantes. La Biennale « Festival Eclectic Campagne(s) » organisée par le Moulin des Tricoteries en constitue un parfait exemple.




Analyse paysagère réalisée par Albanese Mathilde, Descamps Timothée, Dewailly Alexandre, Marques Nolwenn, et Neuville Ancelin, étudiants en deuxième année du BTS Aménagement Paysager de l'Institut de Genech.